Une méthode pour réallouer vos positions
De temps en temps, un portefeuille nous est confié avec une large surpondération dans une valeur particulière. La question se pose alors de la réduction de cette position afin de procéder à des réinvestissements dans d’autres valeurs et ainsi améliorer la diversification du portefeuille. Toutefois, la réduction de la position peut parfois s’avérer délicate. Pourquoi et comment procéder ? Nous vous proposons une méthode (parmi d’autres).
Tout d’abord, en quoi une surpondération est-elle néfaste ? Une valeur individuelle (ou même un petit nombre de valeurs) génère davantage de volatilité qu’un grand nombre d’actions diversifiées tant sectoriellement que géographiquement. Sa performance peut être bien meilleure une année, mais aussi bien plus mauvaise l’année suivante. L’investisseur dont l’horizon de placement est lointain peut s’en accommoder aisément. Il n’empêche que des actions peuvent sous-performer le marché pendant de nombreuses années et ne jamais rattraper leur retard, laissant cet investisseur avec un manque à gagner potentiellement important. En outre, un accident n’est jamais exclu. Beaucoup d’investisseurs belges auront le douloureux souvenir de Fortis, dont la chute en 2008 a surpris y compris nombre de gérants et d’analystes.
En principe, il convient donc de réduire cette surpondération sans attendre. C’est généralement très facile quand l’action concernée est proche de son sommet historique en bourse. On se dit alors que ça ne fait pas de mal de prendre son bénéfice. Si par contre elle navigue entre deux eaux ou, pire, si elle est à un plancher local (voire historique), on peut être tenté de reporter l’allègement. Malheureusement, l’histoire nous enseigne que ce n’est pas parce qu’une action a perdu de la valeur qu’elle n’en perdra pas davantage à l’avenir.
Prenons le cas, par exemple, d’AB Inbev. Elle est relativement loin de ses sommets historiques, tout en ayant tout de même pas mal rebondi depuis sa sévère correction début 2020 et l’apparition de la pandémie de coronavirus. Comment va-t-elle évoluer dans les mois qui viennent ? A si court terme, il est très difficile de se forger une opinion tranchée. On pourrait recourir à l’un ou l’autre modèle de valorisation pour estimer la juste valeur de l’action, faire une moyenne des objectifs de cours d’un échantillon d’analystes ou supposer que le cours va au moins progresser à la hauteur de la croissance bénéficiaire attendue par le consensus des analystes. Chaque méthode générera un cours théorique différent. Aussi bonne soit la formule retenue, l’évolution des affaires de l’entreprise dépendra cependant de facteurs exogènes difficilement prévisibles, tels par exemple une recrudescence de la pandémie de Covid. Le cours de l’action sera également influencé par des facteurs de marché, tels par exemple l’évolution des taux d’intérêt.
Aussi, en l’absence de conviction forte quant à l’évolution que l’action pourrait suivre dans les prochains mois et à défaut de couper sans attendre la surpondération, nous pouvons nous doter d’une méthode d’allègement systématique. Pour ce faire, nous fixons d’abord trois objectifs :
1) à quelle date limite doit-on avoir vendu toute la surpondération ?
2) à quel rythme souhaite-t-on alléger la position (e.g. mensuel) ?
3) à quel cours idéal pourrait-on vendre l’action ?
Le rythme de vente et la date limite vont déterminer le nombre de fois que l’on va alléger la position. Par exemple, si on souhaite avoir coupé sa surpondération dans l’année à un rythme mensuel, on réalisera 12 ventes. Par une extrapolation linéaire entre le cours actuel et le cours idéal, l’objectif de cours va permettre d’établir autant de prix qu’on a prévu de ventes auxquels, s’ils sont atteints, on va réduire petit à petit la position.
L’idée sous-jacente est de réduire la position d’autant plus vite que le cours de l’action s’apprécie et qu’il franchit différentes limites d’ordres de vente, mais, en cas de scenario moins favorable, de forcer des allègements progressifs même si le cours ne prend pas ou pas assez vite la direction espérée, voire se contracte.
Revenons au cas illustratif d’AB Inbev. Supposons que son cours de bourse atteigne, d’ici la fin de l’année, à nouveau son sommet local du début de l’année 2020 (i.e. avant la pandémie), soit € 74,49. Il aurait alors progressé de 32% en un an par rapport à € 56,37, son niveau à la clôture du 4 janvier. Cela peut paraître ambitieux, mais, si par miracle le Covid disparaissait, pourquoi l’action ne recouvrerait-elle pas ses niveaux d’avant-crise ? Admettons que nous avons une position de 3.000 actions et que nous souhaitons en garder 600. Nous devons donc en vendre 2.400. Nous décidons d’alléger la position en douze opérations.
L’écart entre le cours actuel et notre objectif théorique s’élève à € 74,49 – € 56,37 = € 18,12. Divisons cet écart en 12 : € 18,12 ¸ 12 = € 1,51. Nous allons introduire un ordre de vente pour chaque douzième de la position à vendre à un cours limite incrémenté à chaque fois de € 1,51 :
- Ordre n° 1 : Vente de 200 actions AB Inbev à € 56,37 + 1 ´ € 1,51 = € 57,88, validité fin d’année
- Ordre n° 2 : Vente de 200 actions AB Inbev à € 56,37 + 2 ´ € 1,51 = € 59,39, validité fin d’année
- Ordre n° 3 : Vente de 200 actions AB Inbev à € 56,37 + 3 ´ € 1,51 = € 60,90, validité fin d’année
Et ainsi de suite jusque :
- Ordre n° 12 : Vente de 200 actions AB Inbev à € 56,37 + 12 ´ € 1,51 = € 74,49, notre objectif de cours, validité fin d’année
Evolution du cours d’AB Inbev et fixation des cours limites de ventes
A la fin du mois de janvier, deux scenarii se présentent :
- Soit le cours d’AB Inbev a rebondi et a franchi au moins la première limite. L’ordre n°1 a été exécuté (peut-être davantage, nous y reviendrons) et au moins 200 actions ont été mécaniquement vendues. Nous ne faisons rien. Le marché a travaillé pour nous.
- Le cours d’AB Inbev n’a pas rebondi. L’ordre n° 1 n’a pas été exécuté (a fortiori aucun des autres). Nous annulons le dernier ordre (le n° 12) et passons une vente de 200 AB Inbev au cours, quel que soit ce dernier.
A la fin du mois de février, deux scenarii se présentent à nouveau :
- Au moins 400 actions AB Inbev ont été vendues depuis le début de l’année, soit que deux limites, au moins, ont été atteintes (peut-être dès le mois de janvier), soit qu’une vente forcée a été réalisée en janvier et que la première limite, au moins, a été atteinte en février. Nous ne faisons rien. Le marché a travaillé pour nous.
- Seules 200 actions AB Inbev ont été vendues en janvier (soit qu’une seule limite a été atteinte soit qu’une première vente forcée a eu lieu). Nous annulons l’ordre dont la limite est la plus élevée (i.e. le n°12 si une limite a été atteinte, le n° 11 si non) et passons une vente de 200 AB Inbev au cours, quel que soit ce dernier.
A la fin du mois de mars, toujours deux scenarii :
- Au moins 600 actions AB Inbev ont été vendues depuis le début de l’année, soit que trois limites, au moins, ont été atteintes, soit qu’une ou deux limites ont été atteintes complétées par une ou deux ventes forcées. Nous ne faisons rien. Le marché a travaillé pour nous.
- Seules 400 actions AB Inbev ont été vendues depuis le début de l’année, soit que seules deux limites ont été atteintes, soit qu’une seule limite a été atteinte et une vente forcée a eu lieu, soit encore qu’aucun limite n’a encore été atteinte et que deux ventes forcées ont déjà eu lieu. Nous annulons l’ordre dont la limite est la plus élevée (i.e. le n° 12 si deux limites ont déjà été atteintes, le n°11 si une seule limite a déjà été atteinte, le n°10 si aucune limite n’a encore été atteinte) et passons une vente de 200 AB Inbev au cours, quel que soit ce dernier.
Et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les ordres limités aient été exécutés ou, à défaut, à ce que le dernier ordre ait été forcé fin décembre.
Si le cours de l’action s’apprécie rapidement pour atteindre notre objectif de cours avant la fin de l’année, il y a de fortes chances pour que nous n’ayons pas à réaliser de vente forcée. Le marché aura travaillé pour nous. Nous aurons vendu à un prix moyen de € 66,185, soit 17,4% au-dessus du cours de clôture du 4 janvier.
Au contraire, si l’action se déprécie sans jamais repasser au-dessus de son niveau de départ, nous aurons forcé une douzaine de ventes à un cours moyen certainement supérieur au plus bas de l’année. A moins d’une correction en début d’année suivie d’un rebond en fin d’année, nous aurons obtenu un meilleur résultat que si nous avions conservé l’ensemble de la position toute l’année. Et nous aurons progressivement limité l’impact baissier de la valeur dans le portefeuille.
Source : les données des graphiques proviennent de Refinitiv.